La Bibliothèque d'Avignon
La Bibliothèque d'Avignon, dite aussi du Musée Calvet, a une double origine, la Bibliothèque municipale proprement dite et la Bibliothèque Calvet.
La première a été formée, comme les établissements du même genre, avec les livres des institutions religieuses supprimées pendant la Révolution. Ces dernières étaient par ordre d'importance bibliographique : pour Avignon, les Célestins, les Dominicains, le chapitre Notre-Dame des Doms, les Carmes, les Franciscains, les Doctrinaires, les Récollets, les Oratoriens, etc. et en dehors d'Avignon, les Célestins de Gentilly (à Sorgues), les Chartreux de Bonpas, ceux de Villeneuve-lès-Avignon, les Bénédictins de la même ville, les Capucins de Montfavet, etc. Les livres d'émigrés étaient en petit nombre et de peu d'importance.
Cette dernière bibliothèque constitua, avec les tableaux et les objets d'art confisqués, un "Muséum et dépôt littéraire" installé dans l'abbaye gothique de Saint-Martial ; son conservateur fut Vincent Meynet (1739-1804), ancien chanoine coadjuteur de Saint-Agricol.
En l'an XII (1804), l'État, qui était propriétaire du Muséum et dépôt littéraire, en céda la jouissance à la Ville. On sépara alors le Musée et la Bibliothèque, ou plutôt on donna à chacun un conservateur spécial. Le bibliothécaire fut l'ex-chanoine André-Guillaume Calvet (1759-1825), qui classa la bibliothèque, la catalogua et l'ouvrit au public dès 1806. Cette bibliothèque était déjà abondante ; elle comptait 26.451 ouvrages, parmi lesquels 619 manuscrits, les plus précieux de la bibliothèque actuelle, entre autres l'Évangéliaire enluminé de Saint-André de Villeneuve, du IXe siècle ; le Pontifical noté de la chapelle papale, donné par le pape Jean XXII à Notre-Dame des Doms ; des missels du XIVe siècle, notamment celui du pape Urbain V représenté plusieurs fois dans les lettres initiales ; le livre d'heures du Bienheureux Pierre de Luxembourg ; le psautier des Boucicaut, etc.
En 1810, Esprit Calvet, médecin-archéologue, fonda par testament une seconde bibliothèque publique. "Appelé par goût à l'étude et au célibat, disait-il, je m'étais proposé, dès l'âge de quinze ans, d'établir à perpétuité une bibliothèque publique dans ma patrie qui en manquait". La création de la bibliothèque municipale ne le fit pas renoncer à son intention ; mais il eut soin de spécifier que ses livres ne seraient "jamais confondus et mêlés" avec ceux de la Ville. Sa bibliothèque était "peu nombreuse, mais choisie", - ce sont ses propres expressions ; - elle comptait 1.400 ouvrages imprimés intéressant principalement l'histoire, l'archéologie et les lettres anciennes, plus quelques manuscrits parmi lesquels un beau Lactance enluminé, les œuvres autographes de Calvet et la copieuse correspondance échangée par cet érudit avec les savants de son temps. À sa bibliothèque, il avait adjoint des cabinets d'antiquités, de numismatique et d'histoire naturelle qu'il légua en même temps ainsi que la totalité de sa fortune.
En 1826, la Bibliothèque municipale et la Bibliothèque Calvet qui avait le titre de "Muséum Calvet" furent réunies en un seul établissement. Comme Calvet, testateur prévoyant, avait interdit la fusion à son détriment, on tourna la difficulté en "donnant" purement et simplement la Bibliothèque municipale au Musée Calvet ; c'est ce qui explique pourquoi la Bibliothèque d'Avignon a une constitution spéciale, absolument unique en France, qui résulte des dispositions testamentaires de Calvet codifiées dans un règlement organique dressé par le Conseil d'État le 19 mars 1823, modifiée le 26 août 1831 et le 7 mars 1832.
Partie intégrante du Musée Calvet, elle jouit de la qualité d'établissement public dont cette institution a été dotée dès sa fondation, ce qui lui a permis de recevoir directement des dons et des legs.
Elle est dirigée par un Conseil d'administration qui n'a d'analogue que les Conseils des trustees des bibliothèques anglaises. Les trustees avignonnais sont :
1°) le Maire d'Avignon, président ;
2°) trois exécuteurs testamentaires de Calvet se recrutant eux-mêmes par cooptation ;
3°) cinq administrateurs nommés par le Conseil municipal, chacun pour une période de dix ans.
Depuis sa fondation, la Bibliothèque d'Avignon s'est accrue de façon considérable. Elle compte aujourd'hui 85.401 ouvrages imprimés (dans ce nombre, les collections même considérables comme les "Documents inédits" ou les collections Guillaume Budé ne figurent que pour un numéro) 703 incunables, 5.367 manuscrits, 371 séries d'estampes. Les principaux fonds sont ceux de la théologie ancienne, de l'histoire locale, de la littérature provençale, de l'histoire de l'art ; la Bibliothèque Paul Mariéton, reçue en 1921, y a ajouté un fonds abondant pour la littérature française et, de première importance, pour la période romantique.
Ces différentes séries contiennent toutes des livres rares et précieux ; les impressions lyonnaises et parisiennes du XVe et du XVIe siècles sont particulièrement abondantes. Mais ce qui fait surtout la renommée bibliographique du dépôt d'Avignon, c'est sa copieuse collection de manuscrits anciens et modernes. Outre les beaux volumes enluminés dont nous avons signalé ci-dessus les principaux, on peut citer de nombreux monuments paléographique du IXe au XVe siècle, des livres provenant de la bibliothèque pontificale, entre autres plusieurs ouvrages donnés par les papes d'Avignon à des couvents de la ville ; des fonds d'archives de grandes familles provençales, comme les Porcelets d'Arles ; une collection d'autographes d'hommes célèbres, très riche, pleine d'intérêt et à peu près inexplorée.
La Bibliothèque est installée, avec le Musée Calvet, dans le magnifique hôtel construit de 1741 à 1754 par l'architecte avignonnais J.-B. Franque pour le Marquis de Villeneuve-Martignan. Elle a son entrée spéciale dans la cour d'honneur.
Joseph GIRARD,
Ancien conservateur de la Bibliothèque et du Musée Calvet de 1906 à 1949