La fin de la Bibliothèque municipale

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Notice historique sur le Musée-Calvet d'Avignon par F. DIGONNET, Administrateur du Musée-Calvet

Avignon, 1901.

Après la restitution aux églises des tableaux qui avaient formé, pendant quelques années, le Musée municipal d'Avignon, il ne restait plus à la Ville que la possession de la Bibliothèque municipale établie par le Gouvernement avec les livres confisqués sur les établissements religieux, pendant la période révolutionnaire.

C'était en presque totalité des volumes de théologie, d'histoire et d'exégèse ecclésiastique ou de droit civil et canonique, dont beaucoup se trouvaient en quadruple et quintuple exemplaire. "Immense et monstrueuse collection", disait Calvet dans son testament, " de laquelle il serait bon de retrancher une grande partie de livres. "
La Ville, avec ses faibles ressources, désespéra d'ajouter à ce vieux fond ecclésiastique assez de livres pour intéresser les érudits et la généralité des lecteurs. Elle jugea d'ailleurs que deux bibliothèques publiques étaient pour Avignon un luxe excessif, et elle décida de donner la sienne au Musée-Calvet.

Mais les administrateurs de cet établissement répugnaient à ce don et le refusaient, parce que Calvet avait défendu formellement que sa bibliothèque publique fût jamais confondue et mêlée avec d'autres.
La municipalité redoubla ses instances, et il est curieux de voir par quels arguments elle arriva à vaincre les scrupules de l'Administration du Musée-Calvet.
Le 31 juillet 1820, le Conseil municipal d'Avignon étant assemblé en séance extraordinaire, le rapporteur s'attacha d'abord à démontrer que la prohibition faite par Calvet de mêler et confondre ses livres et objets d'art dans d'autres collections ne faisait pas obstacle au projet.

" M. Calvet, disait-il, avait sans doute voulu donner à entendre, par un sentiment naturel à l'homme qui cherche à se survivre à lui-même, qu'il craignait qu'en laissant arbitrairement la faculté de déplacer, mêler et confondre ses livres dans d'autres établissements, on ne méconnût ainsi la *fixité et la perpétuité qu'il a voulu affecter à sa fondation, et qu'ensuite sa mémoire ne vînt à tomber en oubli ; qu'en expliquant autrement cette clause prohibitive on se jetterait dans une choquante contradiction ; qu'en effet M. Calvet ayant prévu le cas où des dons de livres seraient faits à sa bibliothèque, et applaudi d'avance à ce moyen d'en augmenter la valeur, on devait en induire que la ville d'Avignon pouvait, au moins autant que de simples particuliers, user de cette faculté de donner..."

" Que non seulement on le pouvait,... mais qu'on le devait :"

" 1° En mémoire du fondateur, pour donner plus d'éclat et de célébrité à son établissement ;"
" 2° En ce qu'il n'y avait pas nécessité d'avoir à Avignon deux bibliothèques publiques ;"
" 3° En ce qu'en restant séparées, la bibliothèque de la ville et celle de Calvet n'atteindraient pas assez vite l'importance d'un établissement de cette nature."

" Le Conseil municipal, Vu le testament de M. Calvet, Adoptant l'avis de sa Commission par les motifs développés dans le rapport ci-dessus, A délibéré de donner au Musée et à la Bibliothèque Calvet la Bibliothèque et le Cabinet d'histoire naturelle appartenant à la Ville d'Avignon ; de réunir, au moyen de ce don, et dans le local de St-Martial, ces deux établissements en un seul, sous la dénomination de Museum Calvet."
" ... Ainsi fait et délibéré en séance à laquelle ont été présents MM. Soulier, maire ; de Renoard ; Guintrandy ; Verger ; de Blanchetti ; Besse ; Denis Michel ; Chabran ; de la Batie ; Test ; Lesourd ; de Bertrand ; Michaëlis ; Deleutre ; Roque ; Rolland ; Clément ; Poncet ; Moutte, Dérat, conseillers municipaux, qui ont signé le présent procès-verbal. "

Il semblerait qu'une délibération si explicite devait lever toute difficulté.

Ce ne fut néanmoins que six ans plus tard, lorsqu'un autre Conseil municipal, présidé par un autre maire , et composé d'autres conseillers, eût réitéré l'offre du don de la Ville, dans la séance du 12 mars 1826, que l'administration du Musée-Calvet se décidé à l'accepter par la délibération suivante :

Extrait du Registre des Délibérations de l'administration du Musée-Calvet

Séance du 8 janvier 1826.

M. le baron de Montfaucon, maire de cette ville, a exposé que le Conseil municipal, dans ses séances des 31 juillet 1820 et 12 mars 1826, a délibéré de donner au Muséum et à la bibliothèque Calvet la bibliothèque et le cabinet d'histoire naturelle appartenant à la Ville et de réunir les deux établissements en un seul sous la dénomination de Musée-Calvet, et, après avoir donné lecture de ces délibérations, il a proposé de délibérer sur l'acceptation de ce don.

L'administration, accueillant la proposition de M. le Maire,

Considérant que le testament de M. Calvet l'autorise à accepter les dons qui pourraient lui être faits en livres, manuscrits, argent et choses précieuses ;

Que, pour tous les motifs énoncés dans les délibérations du Conseil, le don offert présente les plus grands avantages pour le Museum-Calvet ;

Qu'il n'y a par conséquent lieu de demander, aux termes de l'article 937 du Code civil, l'autorisation de l'accepter ; ...

Par ces motifs,

L'Administration a délibéré de demander au gouvernement l'autorisation d'accepter le don, offert par le Conseil municipal, de la bibliothèque et du cabinet d'histoire naturelle de la Ville, en se réservant de vendre ou d'échanger les ouvrages doubles existant dans cette bibliothèque...

Et ont les membres présents signé.
Jules Teste ; d. Michel-Beaulieu ; le baron de Montfaucon ; Tempier ; Requien.
Six mois après, l'accord de la Ville et de l'administration du Musée-Calvet recevait la sanction officielle :

Ministère de l'Intérieur

Arrêté :
Nous, Ministre, Secrétaire d'État au département de l'Intérieur, Conformément au vœu émis par le Conseil municipal de la ville d'Avignon, Arrêtons ce qui suit :

Article 1er.

La ville d'Avignon est autorisée à réunir la Bibliothèque communale au Musée Calvet.


Article 2.
Les livres doubles qui se trouveront dans cette Bibliothèque pourront être vendus pour acquérir de nouveaux ouvrages.

Paris, le 20 juillet 1826.
Signé : CORBIÈRE.
Pour amplication :
Le conseiller d'État, Secrétaire général,
Signé : Baron CAPELLE.

L'affaire avait suivi toute la filière légale et administrative :

1° Offre du don faite par le Conseil municipal, non point d'une façon inconsidérée, mais répétée deux fois, à six années d'intervalle, par deux maires et deux conseils différents ;
2° Acceptation de l'administration du Musée-Calvet ;
3° Autorisation gouvernementale.

Malgré ce luxe de formalités administratives, il ne faudrait pas s'exagérer la portée de cette donation de la bibliothèque municipale.
Son principal effet fut d'ajouter, au Musée-Calvet, la grande quantité de livres et de manuscrits provenant des couvents et des séminaires supprimés à la Révolution. Ils forment aujourd'hui, dans sa bibliothèque, une des collections théologiques les plus considérables de France, ainsi que le disait dernièrement M. l'abbé Danguy, directeur du Grand-Séminaire d'Avignon.

Bien que cette catégorie de livres ne soit pas très consultée par la généralité des lecteurs, elle constitue cependant un appoints intéressant pour les recherches des théologiens et des érudits.

Quant au cabinet d'histoire naturelle, qui fut, par la même occasion, donné au Musée-Calvet, il était absolument sans importance.

Voici ce qu'en disait le savant naturaliste Requien dans l'acte par lequel il forma les collections du Musée qui porte son nom :

" La Ville, en réunissant sa bibliothèque et ses dépendances au Musée-Calvet, ne nous donna que quelques oiseaux mal empaillés par M. Costaing, dans un si mauvais état de conservation qu'ils sont devenus la proie des insectes, et qu'il a fallu les jeter ; les quelques minéraux et coquilles qu'il y avait ne valent même pas la peine d'être mentionnés. "

Mais ce qui était capital dans la donation de la ville, c'est qu'après la disparition du Musée municipal opérée par la restitution des tableaux aux églises, elle terminait l'existence de la bibliothèque municipale restée à l'état embryonnaire et où les livres, sans lecteurs, se dégradaient par d'irrémédiables moisissures, ainsi que le Conseil municipal le constatait, en le déplorant, dans sa délibération du 11 mars 1820.

Il n'y eut plus dès lors, à Avignon, ni musée municipal ni bibliothèque municipale, mais un seul musée et une seule bibliothèque publique, dont l'ensemble a toujours porté, en l'honneur du fondateur, la désignation officielle de Musée-Calvet.